1/2 L’ashram
Si vous m’aviez connue petite, paralysée à l’idée de frapper à la porte de la classe quand j’arrivais en retard, il vous serait aisé de comprendre que l’expérience du groupe a toujours été un défi pour moi.
Je me souviens de ces minutes d’attente, de cette hésitation devant le bruit qu’allait faire la main sur la porte, de la crainte de la réflexion de la maîtresse, de la peur d’être remarquée.
Réussir à sortir de ma carapace n’a pas toujours été facile.
Au fil des ans, savoir y rentrer a parfois été aussi compliqué.
Après la peur d’être remarquée, la crainte de ne pas être vue.
La nécessité de sortir du lot, par n’importe quel moyen.
L’humour décapant étant le meilleur que j’ai trouvé jusqu’ici.
Cette oscillation permanente entre l’extra et l’introversion est souvent portée à son paroxysme dans les épisodes de vie collective.
Les voyages de classe, les vacances entre amis, en famille, mais aussi, à l’âge adulte, les formations.
Ainsi, lorsque j’ai choisi d’entamer une formation de thérapeute ayurvédique, je savais que j’allais à nouveau affronter ce défi personnel.
J’ai pris soin de choisir une formation qui me correspondait.
Une dans les Cévennes, en pleine nature, avec un formateur anglais, qui a donné pendant des années les formations des pointures Atreya Smith et David Frawley.
Malgré tout, ma dernière expérience de vie collective remontait à l’été dernier, pour ma semaine de fin de formation de professeur de yoga.
Alors en mars dernier, quand j’ai retrouvé l’énergie du collectif, j’y suis allée avec toutes les craintes possibles et imaginables.
Mais un peu moins.
Un peu moins, parce que, pour cette formation, j’avais décidé d’opter pour le minimum d’angoisse possible générée par la nouveauté.
J’ai donc demandé une chambre individuelle : confort ultime, qui évite les inquiétudes anticipatrices sur le sommeil (est-ce que les gens vont ronfler ? À quelle heure ils vont éteindre les lumières?), ainsi que celle sur ma sadhana* du matin (est-ce que je vais avoir la place ?), sur l’intimité (quand est-ce que j’aurais un moment pour moi, pour être moi, toute seule) ?
Autant de questions qui avaient pu être balayées lors de mes séjours à l’ashram, simplement parce que c’était intense, d’une autre intensité.
[box type= »info »]J’ai vécu l’expérience du dortoir, du réveil à 5H30 pour aller faire Puja**, du coucher à 22h après une journée intense et sans un moment pour soi, des lumières qui s’allument et des portes qui grincent, des ronflements et d’autres bruits qui bercent la nuit.[/box]
Je l’ai vécue, et je l’ai vécue avec joie, avec fatigue certainement mais avec joie.
Ces moments m’ont beaucoup apporté, m’ont permis d’aller au-delà de certains murs que je m’étais construits.
J’ai vécu aussi le karma yoga (ou seva***, selon les écoles), deux fois par jour, un très bel exercice pour se confronter à l’ego, pour s’entraîner au lâcher-prise, au détachement, à l’observation neutre :
Pourquoi on me fait nettoyer les toilettes alors que j’adore jardiner ?
Pourquoi on me fait aller dehors par ce temps alors que les autres restent au chaud ?
Pourquoi je hache des gousses d’ail alors que je déteste cette odeur?
Et pourquoi on cueille les plus belles fleurs, les pauvres ?
Parce que.
Parce qu’on s’entraîne aussi à lâcher, à arrêter de poser des questions, tout le temps, de chercher un sens et un but à tout.
Parce qu’on s’entraîne à apprivoiser cet ego, à lui expliquer que non, il n’y a rien qui nous différencie des autres, qui nous donne plus de droit.
Et ce n’est pas contradictoire avec le principe d’individuation.
On apprend à le découvrir, ce soi, qu’on a l’impression d’oublier.
En vérité, les moments pour soi sont tous ceux qui ponctuent la journée, tous ceux au cours desquels, si l’on veut bien s’en donner la peine, on se confronte à soi dans l’expérience de l’altérité.
[box type= »alert »]Il n’y a pas d’échappatoire dans les réseaux sociaux, dans les drogues habituelles du quotidien.
Le café?
Oublie, le goût est atroce, et de toute façon, tu n’en auras que le matin.
Le chocolat?
Pardon, je ne vois pas de quoi tu parles.
Et encore, vous avez des desserts, c’est déjà énorme.[/box]
Parce qu’à l’époque, il n’y avait ni dessert, ni pain, l’austérité était réelle.
Le confort s’est installé au fil des ans, et l’ashram tel que je l’ai connu autorisait du pain avec la soupe du soir, du beurre même, et un dessert.
Autant dire, l’orgie.
Dans tous ces moments, la peur du manque, la peur de ne pas être seul, la peur de ne pas assez dormir, la rage de nettoyer les toilettes, la rage de rester assis sans bouger à méditer pendant plus d’une heure sur l’atome de l’os qui voyage dans l’univers, on se découvre.
Et tout ce qu’on a à dire, en partant, c’est: MERCI.
Merci pour tout, pour cette rage, cette peur, pour ces crampes, pour ces moments de joie infinie, pour l’odeur de l’ail incrustée dans les doigts toute la journée.
Merci, parce que vous m’avez aidée à me découvrir, à me dévoiler à moi-même, à dépasser mes limites, à pulvériser des croyances.
Merci, du fond de la cuvette des toilettes.
C’était un peu comme dans Trainspotting, en fait, on plonge, et après on revient avec une sorte de graal.
Reste à chacun de savoir ce qu’il décide d’en faire.
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