Yourte Gaïa

Deux expériences du collectif

2/2 Quelques jours à Gardoussel

Gardoussel, c’est l’endroit où je vis ma formation de thérapeute ayurvédique.
C’est aussi l’endroit où j’ai rencontré la famille Lima, un clan autoproclamé, regroupant toutes les personnes de notre formation, et bien sûr Alex, notre anglais préféré, notre formateur.

A chaque fois que j’échange avec des personnes qui suivent des formations de « développement personnel » (soyons larges, mettons là dedans le yoga, le shiatsu, la sophrologie, les massages…), je me rends compte que ces moments sont autant des occasions de se former que de se transformer.
[box type= »tick »]C’est comme une main tendue qui nous dirait :
Regarde pourquoi tu es là.
Qu’est ce qui t’as poussé à venir ici ?
Quelles réponses tu cherches ?
A quelles questions ?[/box] Je ne connais personne qui soit sorti indemne de ces formations.
Ces jours passés en groupe, à travailler sur des sujets qui invitent à l’intériorisation, remuent souvent les tripes, la tête et tout le reste du corps.

Cette formation là ne fait pas exception.
Nous avons vécu des choses très fortes dans ce lieu – et je ne crois pas mentir en parlant au nom du groupe-.
Des choses qui ont fait que, au moins pour le temps de quelques saisons, le groupe est devenu une famille, la famille Lima.

Les bases posées dès le départ par Alex ont été simples et salvatrices :

Soyez vous-même.
Personne n’est là pour vous juger.

Je ne peux parler que pour moi à ce sujet, mais je sais que ce préambule a résonné.
La première semaine, je me suis autorisée à faire des choses que je n’avais jamais fait en groupe, simplement.
Pleurer.
Danser.

Et puis le mental est bien sûr revenu au galop, cet esprit analytique, qui aime juger, comparer, évaluer.
On ne peut pas lui en vouloir.
Il fait son taf de mental.
On lui en sait gré quand il s’agit de classer des informations importantes dans notre tête, de faire une liste de courses, de se souvenir des dates de naissance ou des aliments que nos proches n’aiment pas, quand on leur cuisine des choses pour leur faire plaisir.
Enfin quand il revient comme ça, au pas de course, je le repère à dix kilomètres, en général c’est pour râler.
En l’espèce, le jugement sur le luxe de ce lieu comparé à l’austérité relative de l’ashram était évident.

Il est revenu, donc, en me disant que c’était trop facile, trop facile d’être bienveillants et soudés quand on n’a pas la tête dans les toilettes pendant que les autres épluchent des pommes.

Que c’était trop facile d’être en harmonie avec tout le monde quand l’estomac est content, qu’on a son petit confort.

Chambre individuelle en option, des repas ayurvédiques savoureux, un petit déjeuner healthy et open bar, pas de karma yoga.
C’est principalement sur ce dernier point que le mental s’est amusé, habitué comme il est à vouloir déprécier une expérience positive.
Comment peut-on prétendre que l’on est face à soi, à un soi authentique, sans l’expérience douloureuse de la frustation, de la colère, de la tristesse?
Est on vraiment soi tant que l’on est dans le confort?

Il y a un an, j’aurais dit que non.
Que c’est trop facile.
C’est trop facile d’être bienveillant avec les autres quand on n’est pas sur une brèche.
Pourtant, je me suis dit que l’on pouvait retourner l’argumentation.
En poussant plus loin la logique.
George Orwell, dans son livre Down and out in Paris and London (Dans la dèche à Paris et à Londres), explique que pour lui, les clochards, et de manière générale, les pauvres ne sont pas voleurs, méchants, vils, alcooliques, par nature.
Que c’est la pauvreté, la faim, qui les empêche de penser à quoi que ce soit d’autre que se nourrir.
Que boire permet d’oublier qu’il n’y a pas de lendemain.
D’oublier les centres d’accueil, le froid, la faim, la maladie*.
C’est pourquoi je me pose cette question rhétorique:

Peut-on être véritablement soi dans la souffrance?
Doit-on nécessairement expérimenter l’austérité permanente pour se retrouver?

Certains vous diront que oui.
Que l’ascèse, il n’y a que ça de vrai.
Aujourd’hui, j’apprends enfin à dire que oui, mais non.
Pas seulement.
Parce que la douceur aussi peut être une formidable occasion de se découvrir.
Parce que la bienveillance peut être une libération.

Alors, oui, j’ai aimé l’expérience de l’ashram.
Et peut-être encore n’était elle pas suffisamment ascétique.
Peut-être que je devrais jeûner.
Peut-être que je devrais me lever tous les matins à 4h pour méditer.
Aller faire une retraite en silence pendant une semaine, seule, perdue dans la forêt.

Et peut-être que je ferais tout ça.
Mais si je fais tout ça, et seulement ça, si j’oublie le reste, la douceur de la vie, alors je passe complètement à côté de l’essentiel.
De mon essentiel.
Si je choisis l’austérité permanente, que me reste t’il comme point de comparaison?
C’est pourquoi je me dis, je vous le dis, et ce serait bien qu’on se le répète, un peu, tous, tous ensemble:

Accordons-nous un peu de douceur, bordel.

La famille Lima
*Par exemple cet extrait, pour les anglophones:
“One cannot imagine the average Englishman deliberately turning parasite, and this national character does not necessarily change because a man is thrown out of work.
Indeed, if one remembers that a tramp is only an Englishman out of work, forced by law to live as a vagabond, then the tramp-monster vanishes.
I am not saying, of course, that most tramps are ideal characters; I am only saying that they are ordinary human beings, and that if they are worse than other people it is the result and not the cause of their way of life.”
 

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