De l’art d’être funambule – le danseur de corde

« Lorsque Zarathoustra arriva dans la ville voisine qui se trouvait le plus près des bois, il y rencontra une grande foule rassemblée sur la place publique : car on avait annoncé qu’un danseur de corde allait se faire voir.
Et Zarathoustra parla au peuple et lui dit :
Je vous enseigne le Surhumain. L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter ? »

Sans surprise, la foule, plutôt que d’écouter le sage, préfère observer le spectacle du funambule.
Ce dernier finira par tomber aux pieds de Zarathoustra, persuadé que c’est le diable qui lui a fait un croche-patte. Il maudit alors sa vie et en déplore l’absence totale de sens.
Mais Zarathoustra lui dit:

« Tu as fait du danger ton métier, il n’y a là rien de méprisable.
Maintenant ton métier te fait périr : c’est pourquoi je vais t’enterrer de mes mains. »


Quel rapport entre Zarathoustra et la démarche yoguique, me direz-vous?

Eh bien d’abord, voici encore une belle occasion de parler de moi, sur laquelle je vais me ruer.

J’ai découvert Nietzsche avec la philosophie.
Coup de foudre instantané.
Avec du recul, je sais maintenant que c’est parce qu’en plus d’aller travailler des questions existentielles fondamentales – après tout c’est quand même un peu l’idée de la philosophie-, Nieztsche répond à cette exigence vitale qu’est le besoin de spiritualité.

Ainsi dans ce prologue de Zarathoustra, le sage cherche à transmettre aux hommes la volonté de se dépasser, de dépasser l’Homme, pour aller vers le Surhumain.
Ce Surhumain n’est autre que le stade de la joie et l’acceptation tranquille de l’enfant, que je pourrais personnellement rapprocher de Samadhi*.
Voilà pour la connexion. Subjective et sans prétention de vous convaincre.

De fait, le danseur de corde, s’il est loin du Surhumain, est pourtant, pour Zarathoustra, dans une démarche de mise en danger, de dépassement de soi.
Et ce funambule, j’ose croire qu’il me ressemble, qu’il nous ressemble, dans cette ambition commune à rechercher l’équilibre.

L’équilibre.

Ce point précis où tous nos déséquilibres se posent, se calment, s’arrêtent.
Cet endroit précieux, ressourçant, qui nous donne envie de nous y lover comme dans un vieux fauteuil confortable, et d’y rester toute notre vie.

Seulement voilà.
Cela ne dure jamais très longtemps. Et c’est normal.
Pour autant, le cheminement du yoga nous apprend à faire durer chaque fois un peu plus cet instant.
Dans les asanas, par exemple.
Sthira Sukham Asana**.
L’équilibre parfait entre la fermeté et la détente.
La posture doit être à la fois sans hésitation, déterminée, volontaire.
Et en même temps, apaisante, confortable, joyeuse.
Avant d’arriver à ce stade, l’exploration est longue et exigeante.
Elle m’est personnellement très difficile pour de nombreuses postures. (Setu Asana…)
Parfois, il est plus facile de se trouver des excuses.

En témoignent les fous rires en dernière année de formation lorsque notre professeur évoquait les comptes rendus hebdomadaires:
« Ce matin je sens que mon corps ne veut pas »– travailler Setu Asana par exemple-
Nous sommes très doués pour faire parler notre corps et sa recherche d’équilibre, lorsque précisément, notre mental recherche du déséquilibre.
Encore une fois, c’est bien normal. C’est dans l’ordre des choses.

L’ayurveda dit

« Ce qui t’attire a construit ton déséquilibre ».

C’est d’une évidence telle que nous fermons souvent les yeux dessus.
Prenons Pitta. Ce gaillard là est un compétiteur.
Il va forcément aller à la recherche du défi, et ces situations vont le mettre en déséquilibre.
Mais c’est ce qu’il aime, c’est sa nature, alors il croit que c’est bon pour lui.
Pour toutes les choses de la vie, la logique est la même.
Comme par hasard, j’adore le piment, le gingembre, l’acidité, le café et le chocolat.
Bien entendu, j’aime des milliers d’autres choses.

[box]Mais quand on a le malheur d’affirmer que l’on est végétalien, rappeler que dans végétalien, il y a aussi le chocolat noir, ça en sauve quelques-uns.[/box]

Bref.
J’ai donc une passion pour toutes ces choses.
Au point, par exemple, d’avoir mangé du rougail*** comme de la salade lorsque j’étais à la Réunion. Pendant une dizaine d’années, disons.
Au point, aussi, d’avoir, un jour, mangé un bol entier de gingembre mariné pour accompagner mes sushis, parce que c’est trop bon.
Au bout d’un moment, notre corps essaie quand même de nous expliquer que tout ça n’est pas l’idéal.
Evidemment.
Mais il faut parfois arriver à des stades de déséquilibre très marqué pour le comprendre.
Comme vous êtes bien moins stupides et bornés que moi, je suppose bien que vous êtes en parfait état de santé physique et mentale.
Si ce n’est pas le cas, je vous invite à réfléchir un instant à cette idée.

« Tout ce qui t’attire a construit ton déséquilibre ».

Jour après jour, j’essaie, patiemment, de construire mon équilibre.
C’est très long.
Savoir où est le point juste entre l’exigeance, la discipline, et l’acceptation de soi-même.
Entre la compassion et la complaisance.
Entre l’ouverture aux autres et le déni de soi.
Entre le chocolat/café/peanut butter et la cure de soupe.

C’est très long, mais comme le temps n’existe pas, ce n’est pas bien grave.****

C’est très subtil aussi, parce que cela change selon les saisons, l’environnement, l’heure de la journée,…
Aussi, ce qui m’équilibre un jour pourrait bien être déséquilibrant le lendemain.

Comme le danseur de corde, à tout moment, je risque de tomber.
Mais si je tombe, je sais que je me relèverai.

Un proverbe japonais dit

« Sept fois tombé, huit fois debout »

Je crois que cela fait cent fois que je suis debout.

* Je vous renvoie à ce post et ce lien sur les étapes de l’ashtanga yoga de Patanjali.
** Verset II.46 des Yoga Sutra de Patanjali. Traduit, dans mon édition, par « Asana: être fermement établi dans un espace heureux ». Traduction de Gérard Blitz.
*** La sauce, souvent très pimentée, qui sert à accompagner les plats. (Pour faire simple…réunionnais, si vous me lisez, tâchez je vous prie de faire preuve d’indulgence sur ce raccourci…)
****oui, oui, j’ai bien réfléchi à ma phrase. A nouveau, je vous renvoie à ce post. Enfin surtout à la science.
 

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